Jean, directeur du théâtre Bateau-Lune, a ouvert sa porte à Amir, un jeune migrant afghan. De leur cohabitation est née une belle histoire de partage.
Jean et son théâtre, un lieu d’hospitalité
Je m’appelle Jean, j’ai 70 ans, je suis retraité et je dirige le théâtre du Bateau-Lune, installé dans un ancien presbytère. Il y a un étage avec une chambre, une petite cuisine, un salon et une salle de bain : un espace indépendant, mais dans un lieu artistique vivant. C’est un endroit particulier : parfois très calme, parfois plein de musiciens, danseurs, comédiens, gens de passage. Il faut aimer cette énergie-là, parce que sinon c’est difficile.
J’ai entendu parler de l’EVAM et du projet par quelqu’un. On m’a dit : « Ils cherchent des lieux, des familles. » J’ai trouvé ça bien, j’ai dit oui. Je ne connaissais rien au domaine, j’avais zéro appréhension. Juste l’envie.
La belle histoire derrière les pains d’Amir
C’était formidable d’abord parce qu’Amir avait envie de rencontrer, de connaître. Amir, c’est quelqu’un qui, quand je l’invite à déjeuner, il dit oui, et deux jours après, c’est lui qui m’invite. Il m’a fait découvrir des plats que je ne connaissais pas, et ça c’est formidable.
Un jour, il me dit : « J’ai une idée, je pourrais fabriquer des pains à la viande et les vendre au bar. » Je trouvais son idée superbe. Donc il a beaucoup produit à une certaine époque. C’était intéressant. Il a commencé à les vendre à un prix ridiculement bas, et je lui ai dit : « Mais attends Amir, ça paie juste ce que tu achètes pour fabriquer tes pains. »
Et il me dit : « Oui et alors ? »
Et j’ai dit : « Il faut que tu gagnes de l’argent avec ça ! »
Alors on a doublé les prix et il était absolument ravi. A la fin de chaque spectacle, je parlais d’Amir, d’où il venait, ce qu’il faisait et qu’il vendait des pains, et tout d’un coup la vente a totalement explosé ! C’était l’occasion pour les gens de lui poser des questions, il était absolument ravi.
Quand bricolage, épices et fou-rires s’invitent
Un moment clé : il y avait un vieux galetas que je voulais rénover. Je lui ai proposé. On s’est lancé : isoler, faire des parois, couler une chape, poser un carrelage. Ni lui ni moi n’avions déjà fait ça. On apprenait, on rigolait, on réparait nos erreurs. À un moment, la chape trop liquide a coulé à l’étage du dessous… on a dû rattraper ça. Mais finalement : un sol parfait, un vrai travail d’équipe. Un de mes plus beaux souvenirs.
Ou parfois, les artistes venaient me voir en disant que certaines odeurs de cuisine étaient un peu fortes dans la loge. Je leur rappelais avec un sourire que c’était simplement une cuisine différente de la leur, plus relevée, plus parfumée.
Avec humour, j’ajoutais que la cuisine d’Amir était généreuse en épices et en oignons, bien plus que ce qu’on utilise ici, et que cela faisait partie de la richesse du Bateau-Lune : accueillir des personnes et des cultures différentes, y compris dans les saveurs.
Et une leçon de vivre-ensemble : L’accueil de l’autre passe par des petites choses du quotidien.
Message aux futurs accueillants
J’aimerais dire que c’est absolument formidable d’accueillir quelqu’un comme ça. Si on a un peu de temps, et si la personne accueillie en a aussi envie, ce sont des rencontres splendides ! En plus je trouve que c’est globalement bien géré.
Quand on apprend à connaître les personnes, on casse les aprioris et les stéréotypes qu’on pourrait avoir sur son origine. Quand tu connais quelqu’un qui vient d’Afghanistan, tu apprends que l’Afghanistan ce n’est pas que les talibans, les filles qui ne peuvent pas aller à l’école, etc., bien que ce soit tragique. Mais c’est aussi autre chose qu’Amir va te raconter, et ça c’est important. Aller vers l’autre pour apprendre à le connaître.
Le regard d’Amir
Je m’appelle Amir et j’ai habité pendant 10 mois chez M. Jean Chollet. Pour moi, ce fut une expérience formidable. Il y avait beaucoup de confiance, et tout s’est très bien passé. M. Chollet est une personne extrêmement gentille, avec qui je pouvais discuter comme si nous étions une famille.
Découverte du projet Héberger un migrant
Quand j’ai eu 18 ans, j’ai rencontré mon assistante sociale de l’EVAM et c’est elle qui m’a aidé à gérer mon administratif, car je ne parlais pas bien le français. Elle m’a présenté à un de ses collègues qui travaillait avec les familles d’accueil, et j’ai tout de suite été intéressé car ça allait m’aider à apprendre le français et à découvrir la culture suisse. Quelque temps plus tard, il m’a parlé de M. Jean Chollet, qui proposait un logement dans son théâtre, le Bateau-Lune. Je suis allé visiter la maison, nous avons fait connaissance, et le contact est tout de suite bien passé. J’ai donc accepté, et j’y ai vécu pendant presque un an.
Je vivais donc seul dans cette maison, car lui travaille là-bas la journée et le soir il retourne chez lui. J’étais tout seul dans cette grande maison ! Il y avait beaucoup d’espace, je faisais ce que je voulais ! J’aime bien habiter dans un endroit calme, et c’était exactement ce que je voulais ! Pas de bruit le soir, pas de voisins, pas de colocataire, j’étais tout seul tranquille. Parfois les artistes et les comédiens avaient leur loge dans mon étage et c’étaient des personnes très respectueuses.
Au début je ne parlais pas très bien le français et ce n’était pas facile de parler avec M. Chollet. Mais après quelques rencontres, c’est devenu plus simple : c’est quelqu’un d’ouvert, qui aime le contact. Il est directeur du théâtre Bateau-Lune et il côtoie beaucoup de monde : les comédiens, les personnes qui travaillent sur place. Pour moi, c’était vraiment super ! On mangeait ensemble, on discutait au théâtre etça m’a aidé à améliorer mon français, ma connaissance sur la Suisse et à rencontrer des gens.
Son meilleur souvenir
Quand on mangeait avec sa famille, tous ensemble, j’aimais bien ça. On est aussi allés au théâtre à Genève tous ensemble, c’était vraiment un très bon souvenir. J’étais très peu allé au théâtre avant. Pour moi le théâtre est très intéressant car ça me donne des idées d’échanges en langue française, je regarde les acteurs, comment ils bougent. Je profitais aussi d’aller au théâtre Bateau Lune pour voir des spectacles.
J’aimerais dire à Jean que je l’aime beaucoup, merci beaucoup pour tous les moments qu’on a partagé ensemble. J’étais vraiment heureux de vivre ces expériences avec lui. Pour moi, ce séjour restera toujours un très bon souvenir. Nous continuons à nous envoyer des messages pour le Nouvel An ou à l’occasion des fêtes. Ça me rend vraiment heureux.