Xavier : Nous sommes un couple d’une septantaine d’années et nous habitons une maison dans l’Ouest lausannois. Nos enfants ont quitté la maison depuis longtemps. Nous avons souvent accueilli des étudiants. Un jour, une amie nous dit : « À côté de chez moi, une famille ukrainienne arrive, ils cherchent des familles d’accueil ». C’était juste avant Pâques 2022. Nous étions déjà inscrits comme volontaires à l’OSAR et à l’EVAM.
Peu après, un ami de l’EPFL, Daniil, nous annonce que trois jeunes femmes ukrainiennes arrivaient. On a dit : « D’accord on les accueille ! » Enfin… on avait deux places. Ainsi, Yasmina et Renata sont venues chez nous, et Anastasia est allée chez une professeure assistante à Morges.
La seule chose qu’on leur a dite : « Il faut aimer les chiens ! » Elles n’en avaient pas l’habitude.
Une arrivée très rapide
Xavier : On n’a pas eu le temps de se préparer. Et en une semaine tout était fait.
Diane : Au début, il y avait beaucoup de stress pour elles. Renata faisait des cauchemars. Quand un avion passait la nuit ou qu’il y avait une sirène, elles avaient peur. Il leur a fallu environ un mois pour retrouver un vrai sommeil. Et puis les habitudes étaient différentes : la nourriture, les horaires, etc. Ici, « l’heure, c’est l’heure », ce qui n’était pas forcément leur façon de fonctionner.
Yasmina : Ce n’est pas parce qu’on est Ukrainiennes ! (Rires)
Xavier : Maintenant tout roule. Elles nous disent si elles rentrent, si elles sont là. Ça fait trois ans et demi maintenant !
Organisation du quotidien
Xavier : On a instauré un rituel : le dimanche à midi, on mangeait ensemble. C’était notre repas de famille. On voulait recréer une ambiance familiale pour elles.
Yasmina : J’aimais beaucoup. Chez moi on ne fait pas ça, donc c’était nouveau et très agréable. Parfois on cuisinait des plats ukrainiens. Au début c’était troublant de discuter tous ensemble à table, parce que chez moi on n’a pas cette habitude. Maintenant c’est normal.
Xavier : Elle fait très bien le tiramisu… ce qui est très ukrainien (rires).
Diane : On avait établi quelques règles de cohabitation simples : prendre ce qu’il faut dans la cuisine, dire si on casse quelque chose, si on fait une tache… Ce n’est pas grave, mais il faut le dire. Des règles de vie normales.
Les habitudes culinaires étaient très différentes. Il a fallu trouver un équilibre : elles sont des oiseaux de nuit, nous des lève-tôt. Le matin elles partaient vite, nous on sortait les chiens. À midi elles mangeaient à l’EPFL. Le soir, leur repas principal était ici. On a appris à partager cuisine, frigo, buanderie. Une fois le rythme trouvé, ça allait très bien.
Yasmina : Les règles n’étaient pas strictes : faire la lessive le week-end, éteindre la lumière… c’était normal. C’était notre première expérience loin de nos parents. Grâce à Diane et Xavier, c’était très doux. Nous leur sommes très reconnaissantes.
Xavier : Ça nous a fait du bien aussi. On aime avoir des jeunes avec nous, ça nous garde jeunes. Si c’était à refaire, on le referait sans hésiter. Nous sommes catholiques, sensibles à l’idée du bon samaritain. Et une phrase de Lévinas nous parle beaucoup : « La véritable responsabilité commence quand l’autre me regarde et me dit par sa simple existence : ne me laisse pas seul. »
Concernant les études, on les a encadrées comme nos propres enfants. Les jours d’examens, on était presque en examen avec elles. Le deal était simple : on leur offrait de bonnes conditions, et en contrepartie elles travaillaient bien.
On disait que tout ce qu’on faisait, on l’aurait fait pour nos propres enfants. J’ai eu cinq sœurs, mais pas de filles… et là j’en ai deux ! Ce sont comme nos filles !
Yasmina : Lors des examens, Xavier disait toujours : « Tout va bien se passer ». Et ça s’est bien passé. Mais dans ma tête, je me disais : « Si je fais une erreur, est-ce qu’il sera triste ? » C’est pareil qu’avec mes parents.
Le regard des jeunes femmes
Yasmina : Nous venons de Kharkiv, à l’est de l’Ukraine. Nous avons fini notre Master de physique à l’EPFL. Nous sommes venues en 2022 pour travailler dans un laboratoire de l’EPFL, c’était censé être un stage de 3 mois. Avec la guerre, tout a changé.
Il y a eu beaucoup d’administratif, beaucoup d’inconnu. Mais Diane et Xavier nous ont aidées. On travaillait 100% au labo tout en terminant notre Bachelor en ligne.
Finalement, on a été acceptées en Master à l’EPFL. Et on l’a réussi en août. Nous attendons notre cérémonie de remise des diplômes.
Xavier : Elles ont été brillantes – BRILLANTES – aux examens finaux. 5,75 sur 6 au travail de master. Ils gardent le 6 pour Einstein ! Elles sont incroyablement douées.
Découvertes culturelles
Yasmina : Les Suisses sont très sportifs ! On a fait beaucoup de randonnées. Venir de l’est de l’Ukraine, sans montagne, ça change. On a même essayé le ski.
Et aussi… les gens dans la rue disent « bonjour » (rires). Maintenant on trouve ça normal.
Et les médecins… ici, il faut savoir à l’avance quand on sera malade pour avoir un rendez-vous ! (Rires)


Message aux futures familles accueillantes et personnes accueillies
Xavier : Il faut risquer. Celui qui ne risque rien n’a rien. Ça peut aller très bien, ça peut être difficile. Mais il faut oser. Et il faut être souple, accepter que l’autre soit différent. Et si quelque chose ne va pas, on en discute, et on trouve un consensus.
Diane : Il faut respecter les caractères, les habitudes, les manies de chacun.
Yasmina : Prépare-toi à t’adapter. Sois gentil, sois poli. Pour nous, c’était comme vivre avec nos parents, donc plus facile. Pour d’autres, ça peut être différent.