
Je suis arrivé à la Vallée de Joux il y a 10 ans avec ma famille. L’EVAM nous a donné des cours de français pendant un an. Ensuite, nous avons commencé à chercher du travail, mais ce n’était pas simple à cause de la langue. Heureusement, la Vallée de Joux est une petite région où nous avons eu la chance de rencontrer des personnes prêtes à nous aider.
Un jour, un ami m’a conseillé de demander de l’aide à David, un bénévole. Et David, quand quelqu’un frappe à sa porte, il ne dit jamais non. Je suis allé chez lui, je lui ai expliqué ma situation, que je cherchais un travail. En Afghanistan, j’étais photographe et j’aimais ce métier, mais en Suisse ce n’était pas évident de continuer dans ce domaine. Je cherchais donc un emploi qui demande la même précision que la photographie. Quand David a vu mon travail, il m’a proposé de chercher un emploi dans l’horlogerie, la décoration horlogère ou le dessin. Il m’a ainsi aidé à faire un CV et à l’envoyer à toutes les entreprises de la région. J’ai donc fait des stages chez Audemars Piguet, Jaeger-LeCoultre, ou encore Transcendance. Puis un jour, David m’a dit « Une petite entreprise, Manufactor SA, chez Philippe Narbel, veut te rencontrer ».
Nous nous sommes vus, j’ai fait un petit essai, puis une formation de deux mois. Ensuite, Philippe m’a proposé un poste. Je dois dire : c’est David qui m’a trouvé cette opportunité mais c’est Philippe qui me l’a donnée.
Philippe, comment avez-vous découvert le potentiel de Murtaza ?
On s’est rencontrés un samedi matin autour d’un café. Une semaine après, je lui ai fait tester les outils sous la loupe binoculaire, je lui ai donné les limes, je lui ai expliqué pendant une bonne quinzaine de minutes, puis il s’est débrouillé tout seul. J’ai vu que ça se passait vraiment bien. Je lui ai alors dit : « Prends des outils, un étau, une lampe, comme ça tu peux t’exercer chez toi ». Il a pu se faire un petit coin à la maison pour s’entraîner. Deux mois plus tard, il est revenu avec la pièce, et j’ai vu qu’il avait un vrai potentiel.
J’en ai donc parlé au directeur administratif pour envisager un engagement car Murtaza a assez vite démontré qu’il avait un véritable talent. J’enseigne depuis quatre ans, je forme beaucoup de gens, et des élèves du niveau de Murtaza, j’en ai vu très peu ! C’est rare de trouver des talents comme ça et ça nous intéresse vraiment.
Murtaza :
Je crois que c’est rare de faire un contrat avec quelqu’un qui n’a jamais touché la lime, mais Philippe m’a donné d’excellents conseils, c’est un expert dans l’enseignement.
Philippe :
Tu n’as pas eu besoin de beaucoup de conseils ! (Rires).
Philippe, qu’est-ce qui vous a motivé à rencontrer Murtaza ?
Pour moi c’est un privilège d’avoir croisé Murtaza. Il a traversé tant de choses. Je suis profondément touché par le courage de Murtaza, qui a quitté son pays avec sa femme et ses enfants. Rien que d’y penser, j’en ai des frissons. Je resterai toujours heureux d’avoir été la personne qui a eu la chance de lui tendre la main. Ce genre de rencontre ne se présente pas tous les jours et, honnêtement, cela me touche bien plus que de vendre des montres ou d’assister à des dîners de collectionneurs.
Murtaza, comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Je travaille à 100% et c’est un travail que je fais avec plaisir. Je commence le matin et ça passe très vite, c’est fini tout de suite ! Je ne sens pas le temps passer. Même si les pièces sont les mêmes et que c’est un travail répétitif, j’apprends de nouvelles choses, de nouvelles techniques.
Quels sont vos projets futurs ?
Un jour, j’aimerais faire ma propre montre. J’aime décorer les pièces. Quand je vois une pièce décorée, toute propre et finie, c’est satisfaisant et valorisant.
Philippe, un dernier mot ?
Ce qui m’a vraiment impressionné, c’est son intégration dans l’équipe. Lors du premier café ensemble, j’ai rencontré quelqu’un de paisible, c’était un super moment. Il n’y a jamais de problème avec lui. Il sait comment interagir avec les gens, s’intégrer à un groupe et amener une présence paisible, ce qui est très important pour une petite boite comme la nôtre. Il se fait sa place, il s’entend bien avec tout le monde. Des personnes comme lui, j’en voudrais bien d’autres !